Il était une fois la magnifique hollande, son mythique Johan Cruyff et ses légendes dont Ruud Krol

HIBAPRESS-RABAT-FIFA

Ruud Krol évoque l' »extraordinaire » Johan Cruyff, les exploits des Pays-Bas lors de la Coupe du Monde de la FIFA 1974 et l’héritage laissé par le « football total ».

FIFA
  • Ruud Krol évoque la Coupe du Monde 1974 des Pays-Bas

  • Il estime que Johan Cruyff était au niveau de Pelé et de Diego Maradona

  • Krol admire Rinus Michels et le football total

Face à Pim van Dord, Ruud Krol ne mâche pas ses mots : « Dieu nous a donné une bouche mais deux oreilles. Ça veut dire qu’il faut écouter avant de parler. »

En entendant ces paroles, Rinus Michels ne peut réprimer un sourire. Sans doute ne s’attendait-il pas à voir le roi des fêtards mourir en père la morale.

Les veilles de matchs, alors que ses coéquipiers de l’Ajax dormaient bien tranquillement, le jeune Krol avait pris l’habitude d’écumer les soirées branchées d’Amsterdam en chemises de soie, vestes croisées et pantalons de velours. Un beau soir, Michels s’est trouvé à court de patience. Ayant appris le nom de la discothèque dans laquelle Krol sévissait, il charge un membre de son équipe technique d’aller le chercher.

Son adjoint, accompagné de son épouse, se rend immédiatement sur place. « Qu’est-ce que tu fais là ? », lui demanda-t-il, agacé. Krol répond, sans se démonter : « Je me disais que ta femme avait peut-être envie de danser. » Tout le monde éclate de rire.

Michels, lui, trouve la plaisanterie saumâtre. Connu pour son caractère autoritaire, le technicien néerlandais n’est pas d’habitude du genre à tolérer les écarts de conduite. Mais Krol bénéficie d’une certaine impunité… Celui qu’on surnomme « le Général » a mis au point l’un des systèmes de jeu les plus extraordinaires de l’histoire du football, mais il ne sait que trop bien que son succès dépend en grande partie de son élève le plus doué.

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Certes, le samedi soir, Krol est partout, sauf où on l’attend ; mais le dimanche après-midi, sur le terrain, ce défaut devient une qualité. En théorie, le numéro 5 aurait évolué sur le flanc gauche de la défense. Sans doute jugez-t-il cet espace étriqué, puisque cela ne l’empêche pas de surgir au milieu de terrain, sur l’aile ou même dans la surface de réparation adverse.

Il se faufile entre ses adversaires comme le slalomeur Ingemar Stenmark entre les piquets ; il distille des passes de plus de 50 mètres d’une précision à faire pâlir d’envie Roger Staubach, le quarterback des Dallas Cowboys ; il expédie des tirs surpuissants qui laissent le grand Johan Cruyff sans voix. Savant mélange d’arrogance et d’élégance, Krol s’impose rapidement comme un élément indispensable au succès de « l’Orange mécanique ».

Heureusement pour Michels, Krol finit par se poser : il se marie et laisse derrière lui sa vie d’ébauche. S’il continue de s’illustrer au sein de « Snabbel et Babbel », le surnom du duo qu’il forme avec Wim Suurbier, ce n’est plus en raison d’escapades nocturnes.

Ses performances majuscules et son influence galvanisante propulsent l’Ajax et les Pays-Bas vers de nouveaux sommets, au point que d’aucuns n’hésitent pas à classer ces équipes parmi les meilleures de tous les temps, dans leurs catégories respectives. À l’occasion du 50e anniversaire de la Coupe du Monde de la FIFA 1974, la FIFA s’est entretenue avec ce génie aux multiples facettes.

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FIFA : Dans votre jeunesse, vous étiez assez superstitieux. À l’Ajax, votre numéro fétiche était le 5. Qu’avez-vous ressenti en apprenant que vous porteriez le 12 pendant la Coupe du Monde 1974 et comment Johan Cruyff s’est-il débrouillé pour obtenir le 14 ?

Ruud Krol : C’était notre première phase finale depuis 1938. Nous n’avions aucune idée de la façon dont les choses se déroulaient. Personne ne nous a demandé quels numéros nous demandons. Ils ont donc été attribués par ordre alphabétique et je me suis retrouvé avec le 12. Évidemment, je voulais le 5. C’était mon numéro à l’Ajax et j’avais fait mes débuts en équipe des Pays-Bas avec ce numéro contre l’Angleterre, en 1969. Il avait beaucoup de valeur à mes yeux. En 1978, j’avais compris le truc et j’ai fait en sorte d’avoir le 5 en Argentine mais, en 1974, j’ai dû me contenter du 12. Cruyff était le capitaine et il a su que les numéros seraient attribués par ordre alphabétique. C’est comme ça qu’il a réussi à mettre la main sur le 14.

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A l’époque, la rivalité entre l’Ajax et le Feyenoord faisait rage aux Pays-Bas. Était-elle également palpable en équipe nationale ?

Non, pas du tout. Absolument pas. Quand nous étions face à face, oui, sans aucun doute. L’Ajax et le Feyenoord semblaient tout pour gagner. Mais il n’y avait pas de tension entre nous lorsque nous nous retrouvions en sélection. C’était déjà le cas à l’époque de [Frantisek] Fadrhonc et l’arrivée de Michels n’a rien changé. Ni les joueurs de l’Ajax, ni ceux du Feyenoord ne cherchaient à causer des problèmes. Il y avait beaucoup de respect de part et d’autre. Nous avons aussi beaucoup de respect pour [Ernst] Happel et Michels, qui étaient deux très grands entraîneurs.

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Au début des années 1970, les clubs néerlandais ont décroché quatre Coupes d’Europe consécutives, portées par d’incroyables individualités. Les Pays-Bas étaient très attendus au moment d’aborder la Coupe du Monde. Avez-vous conscience de cette pression ?

On nous attendait beaucoup, c’est vrai. Mais nous étions loin de tout ça car la Coupe du Monde était quelque chose de nouveau pour nous. Notre dernière participation remontait à 1938. Nous ne nous étions jamais qualifiés pour le Championnat d’Europe. Les résultats des matchs amicaux organisés avant la Coupe du Monde n’étaient pas redoutables non plus. De son côté, Michel travaillait encore à Barcelone. Il était venu en avion pour préparer les matchs, puis il repartirait en Espagne. Ça ne nous plairait pas trop. À la fin du championnat, il a pu se consacrer pleinement à nous et tout s’est amélioré. Nous avons travaillé très dur. Bien sûr, les joueurs de l’Ajax connaissaient déjà ses méthodes. Ceux du Feyenoord, en revanche, ont dû s’y habituer. Nous avons affronté l’Argentine en amical, à Amsterdam, et nous avons gagné 4-1. Ça nous fait du bien au moral.

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Vous souvenez-vous du « demi-tour à la Cruyff » contre la Suède ?

On en a beaucoup parlé mais pour nous, c’était banal. Cette feinte faisait partie de son répertoire. Il l’avait déjà réalisé, mais c’était la première fois qu’il la tentait à ce niveau. Il était très souple, comme [Rob] Rensenbrink. Votre premier but en Coupe du Monde, contre l’Argentine, était de toute beauté. Qu’avez-vous ressenti dans le marquant ?

Ce n’était pas vraiment mon premier mais en Coupe du Monde. J’avais déjà marqué… contre mon camp, face à la Bulgarie ! [ rires ] Nous avons battu les Argentins pendant la préparation, mais ils n’étaient pas à leur meilleur niveau. Ils étaient encore en rodage. Un match en Coupe du Monde, ça n’a rien à voir. La tension était palpable. Il pleuvait énormément. C’était le genre de météo qui nous convenait. Ça a certainement été joué en notre faveur. Il y avait beaucoup de Néerlandais dans le stade. Dans l’ensemble, nous avons fait un super match.

Le Brésil était triple champion du monde et titulaire du titre ; et Pelé était présent dans les tribunes. Dans quel état d’esprit avez-vous abordé ce match ?

J’adorerais le football brésilien. C’était toujours un plaisir de voir jouer cette équipe. La première fois, pour moi, c’était en 1958. Pelé, Garrincha, Didi… j’étais comme un fou. Je n’étais pas le seul, comme vous l’imaginez. Nous nous intéressons beaucoup aux Brésiliens car nous aimons les voir jouer. Ce match, c’était comme une finale. Mais en fait, c’était pour une place en finale. Nous étions encore plus motivés à l’idée de nous mesurer aux champions du monde. Le match a tenu toutes ses promesses. Il y a du beau jeu et des actions plus musclées. À quelques occasions ; eux aussi. On a gagné, mais ça s’est joué à peu de choses.

Quel regard portez-vous sur la finale ?

Nous étions les meilleurs, ça ne fait aucun doute. Mais dans le football, ce n’est pas toujours le plus fort qui finit par l’emporter. Nous n’avons pas eu de chance. Ils n’auraient probablement pas dû avoir un penalty en première période. Ensuite, nous sommes tombés sur un [Sepp] Maier en état de grâce. Nous avons fait un bon match. Nous n’en étions plus que déçus.

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On raconte qu’avant le début de la compétition, plusieurs joueurs de l’Ajax ont tenté de convaincre l’Allemand Horst Blankenburg de jouer pour les Pays-Bas. C’est vrai ?

Non, ce sont des histoires. Ça ne venait certainement pas des joueurs car nous avions déjà une bonne charnière centrale. C’est dommage que [Rinus] Israël soit blessé juste avant la Coupe du Monde, mais nous avons d’autres options. La seule chose qui nous manquait, c’était un arrière gauche. C’est pour ça que Michels m’a mis là. D’habitude, j’étais plutôt en défense centrale.

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On parle beaucoup des qualités offensives de cette sélection néerlandaise, mais vous avez préservé vos cages à cinq reprises en sept sorties pendant cette Coupe du Monde, notamment face à l’Argentine et au Brésil. Diriez-vous que votre défense était un peu sous-estimée ?

Oui. Défensivement, nous étions très, très forts. Ça, c’était grâce à Michels. Son idée, c’était que si vous pouviez attaquer, vous pouviez défendre et si vous pouviez défendre, vous pouviez aussi attaquer. C’était la philosophie de l’Ajax et nous avons beaucoup travaillé pour la maîtriser. Nous étions tous capables de défendre. Nous avons joué trois finales de Coupe d’Europe d’affilée sans prendre le moindre risque. Ça n’arrive pas par hasard. Tout le monde savait que la défense de l’Ajax et des Pays-Bas, c’était Fort Knox !

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Vous vous êtes posés à l’aéroport de Schiphol dans une ambiance indescriptible. Vous avez participé à une réception royale en compagnie de la reine Juliana et du prince Bernhard. Une foule en délire vous attendait Place Leidseplein pour vous acclamer. Comment vit-on de tels moments ?

La réception était tout bonnement incroyable. Je ne l’oublierai jamais. Nous n’étions même pas champions du monde. Nous avions perdus en finale, ce qui était déjà décevant en soi, mais en plus, nous avions perdu contre les Allemands, ce qui était encore pire. L’Ajax et le Feyenoord n’arrêtaient pas de battre des clubs allemands. Nous ne nous attendrons pas à être accueillis en héros. Et pourtant, nous avons été reçus avec tous les honneurs.

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Un seul homme a disputé l’intégralité des Coupes du Monde 1974 et 1978, soit 21 heures et 30 minutes au total. Qu’en dites-vous ?

C’est un bel exploit mais j’aurais préféré jouer moins et revenir avec le trophée ! [rires] Mais je ne me plains pas. Ça reste exceptionnel.

Avez-vous le sentiment d’être l’un des meilleurs spécialistes du jeu depuis la fin de l’histoire du football ?

Oui. Aujourd’hui, on voit souvent des ouvertures de 60 mètres, mais les ballons sont plus légers et maniables. À mon époque, nous n’étions pas nombreux à pouvoir faire ça, surtout parmi les défenseurs. Quand je jouais libre ou arrière gauche, Cruyff m’en réclamait sans arrêt. Et quand Cruyff vous demanderait quelque chose, vous n’aurez pas envie de le décevoir. Michels m’a fait beaucoup travailler cet aspect de mon jeu à l’entraînement. Le mardi et le jeudi, je commençais 30 minutes avant les autres et nous ne faisions que ça.

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Quel souvenir gardez-vous de Michels ?

Il nous a conduit vers le très haut niveau. Tous ceux qui ont évolué sous ses ordres ont adhéré à sa philosophie. Notre objectif était simple : toujours faire progresser le ballon vers l’avant. Michels ne voulait pas nous voir jouer latéralement ou vers l’arrière. Cela nous demanderait beaucoup de travail à l’entraînement. Mais c’était un génie.

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Que pensez-vous de Johan Cruyff en tant que joueur ? Où se situe-t-il par rapport aux autres footballeurs qui ont marqué l’histoire ?

C’était extraordinaire. Sur le terrain, c’était le bras droit de Michels. Et il savait tout faire avec le ballon. Il était très intelligent, en plus. Il aurait pu jouer à n’importe quel poste. Il incarnait la philosophie de Michels. On me demandait souvent pourquoi il redescendait chercher les ballons. C’était simplement pour lui un moyen de trouver des espaces. Pour moi, il est au même niveau que Pelé ou [Diego] Maradona.

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Quel est l’héritage du Football total aujourd’hui ?

Michels a très mal vécu la défaite (4-1) de l’Ajax contre Milan, à Madrid [en finale de la Coupe d’Europe 1969]. Il a recruté quelques joueurs – dont moi – et il a procédé à certaines modifications. Entre 1965 et 1970, il a bâti son équipe de l’Ajax. En 1970, il avait achevé son chef-d’œuvre. L’Ajax a remporté trois Coupes d’Europe de suite. Les Pays-Bas sont devenus une nation qui compte. Le Football total, c’était du jamais vu. Personne n’en avait entendu parler avant. Mais du jour au lendemain, tout le monde ne parlait plus que de ça. Des décennies plus tard, on en parle encore. Vous pouvez voyager partout dans le monde et vous trouverez des gens pour vous parler du Football total ou de l’Orange mécanique.

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Où se situe cette équipe néerlandaise par rapport aux autres grandes sélections de l’histoire du football international ?

Je pense que nous étions les meilleurs. C’est mon avis, en tout cas. Une chose est sûre : dans les années 1970, nous étions sans égaux. Mais il a également été malchanceux. Aucune autre équipe n’a affronté le pays hôte en finale de la Coupe du Monde lors de deux éditions consécutives.

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