E-commerce : comment s’explique le changement du comportement des consommateurs ?

Hibapress

Les consommateurs marocains préfèrent de plus en plus acheter les produits de première nécessité en ligne et se faire livrer à domicile. Un changement qui s’est accentué davantage depuis le début de la crise du covid-19. Mais comment s’explique ce virage des produits de grande consommation « Fast Moving Customer Goods » (FMCG) vers le e-commerce ?

Dans une interview accordée à la MAP, Smail Ouiddad, professeur universitaire à l’École nationale de commerce et de gestion (ENCG) de Settat et expert-consultant répond à cette question et s’arrête sur les moyens à adopter pour saisir l’opportunité que présente la vente en ligne.

– Quels sont les facteurs derrière le changement du comportement des consommateurs ?

À l’échelle mondiale, la pandémie du Covid-19 a eu un impact très important sur la vie quotidienne et les fermetures des lieux d’achat ou de consommation hors foyer ont accéléré l’adoption de l’achat en ligne et des livraisons à domicile.

La livraison à domicile est alors passée très rapidement d’un service facultatif ou de bonification à un service indispensable pour certains types d’e-commerce.

Ce constat concerne tous les pays du monde, y compris le Maroc. Certains de ces changements se produisaient déjà lentement avant 2020, mais ils se sont vraiment accélérés avec la crise pandémique.

Les raisons qui expliquent ce changement de comportement sont diverses et variées, allant des facteurs liés aux consommateurs, aux raisons liées aux vendeurs, en passant par les facilitations logistiques.

Pour ce qui est des raisons liées aux consommateurs, nous pouvons commencer par ce que nous appelons les « Non Consommateurs Relatifs » (NCR); c’est-à-dire des personnes qui ne consommaient pas auparavant les services de livraison à domicile, mais qui les consomment désormais.

Ce sont des personnes qui n’étaient peut-être pas à l’aise que d’autres personnes font les courses à leur place et qui ont finalement trouvé que se faire livrer est vraiment très pratique, puisqu’ils vont pouvoir choisir eux-mêmes ce qu’ils souhaitent et l’avoir selon les conditions qui les arrangent personnellement.

C’est alors un comportement qui s’instaure petit à petit, et cela entre désormais dans les considérations des consommateurs quand c’est convenable, au-delà du simple fait d’être à la maison « en quarantaine ».

Un autre facteur lié aux consommateurs est la volonté d’essayer de nouveaux produits ou services. Les acheteurs ont été incités à essayer de nouveaux produits de la même manière qu’ils ont été incités à faire des achats en ligne.

Moult motivations peuvent être avancées : proposition de nouvelles routines quotidiennes, prix plus attractifs ou promotionnels, nouveaux produits ou services ou effets de mode.

L’ »allée sans fin » qui décrivait l’espace en ligne s’est vraiment concrétisée ici. Les Marocains étaient prêts à essayer de nouvelles marques et même de nouvelles catégories avec lesquelles ils n’auraient peut-être jamais interagi (marques turques, américaines, ou européennes, liées au prêt-à-porter, compléments alimentaires, produits de grande consommation, etc).

D’une manière générale, nous pouvons avancer qu’une fois que les consommateurs ont fini avec leurs « stocks de panique » au début de la pandémie, ils sont devenus prêts à dépenser plus d’argent pour les choses qui comptent pour eux et se faire livrer.

Cette première action était alors le déclencheur d’un nouveau comportement que nous pouvons qualifier de « durable » quand ce sera plus convenable pour le consommateur que le déplacement au lieu de vente.

– Peut-on dire que le grand virage des produits de grande consommation vers le e-commerce est en train de s’opérer ?

Après l’apparition de la pandémie, et à l’échelle internationale, les ventes par le biais du e-commerce ont augmenté de 40% à 60 % selon les pays.

Au Maroc, les opérations de paiements par cartes marocaines auprès des commerçants et eMarchands affiliés au Centre monétique interbancaire (CMI) ont affiché une hausse de +32,1% en nombre d’opérations et de +25,5% en montant par rapport à l’année 2020, indique le CMI dans son rapport sur l’activité monétique marocaine au titre de l’année 2021.

D’autant plus, l’afflux d’acheteurs en ligne pendant la pandémie ne signifie pas que le secteur a atteint son maximum. À mesure que les vendeurs continuent d’améliorer leur expérience du commerce électronique et que les nouveaux acheteurs en ligne se familiarisent avec l’espace numérique, la croissance se poursuivra.

Par ailleurs, la marge de progression est importante pour des produits comme les fruits et légumes et les produits de boucherie, que les consommateurs préfèrent choisir eux-mêmes, et les produits de boulangerie qui sont souvent des achats « impulsifs » en magasin et n’ont pas encore trouvé leur place en ligne.

Mais le nombre croissant d’acheteurs numériques ne signifie pas que les épiceries vont pousser leurs clients à faire leurs achats en ligne, d’autant plus que le comportement d’achat des produits de grande consommation en détail de chez l’épicier se base en grande partie sur le contact humain et la relation interpersonnelle de proximité, ce qui diffère de l’achat des mêmes produits dans les grandes surfaces.

C’est aussi la question d’une culture de consommation qui peut varier selon les villes ou les quartiers.

Nous pouvons alors remarquer l’évolution rapide du comportement d’achat en ligne des produits de grande consommation par les Marocains au cours des deux années écoulées. Toutefois, nous estimons que l’achat en ligne de ces produits reste une option que les clients peuvent choisir quand c’est plus convenable, sans pour autant substituer totalement l’achat en magasin à court ou à moyen termes.

– Comment les enseignes peuvent-elles s’adapter à ce changement pour augmenter leur chiffre d’affaires ?

En théorie, le commerce en ligne des produits de grande consommation devrait bénéficier de ce changement de comportement des consommateurs. Cependant, pour répondre à cette question, il est nécessaire de s’attarder sur les particularités de cette catégorie de produits.

En effet, les produits de grande consommation sont des produits qui diffèrent substantiellement des autres produits qu’un consommateur pourrait acheter en ligne rapidement.

Ces produits ont leurs spécificités. Ils se vendent généralement à l’unité et parfois au petit lot, sont très sensibles au prix à la promotion et à l’achat impulsif, se consomment et se détruisent rapidement et se consomment quotidiennement. En outre, ils sont notamment achetés aussi bien pour son besoin personnel que pour un besoin d’autrui, sont très déterminés par l’habitude d’achat et de consommation, et nécessitent parfois de la publicité au lieu de vente pour pouvoir se rappeler qu’il n’en reste plus chez soi.

De ce fait, nous constatons que les variables qui déterminent la décision d’achat sont nombreuses et difficiles à cerner facilement. Par ailleurs, les frais ou le temps de livraison peuvent constituer un frein à l’achat si le panier n’est pas conséquent.

Pour réussir le défi de vendre ce type de produits en ligne, il convient de s’organiser en place de marché, tenir compte des habitudes d’achat des paniers et se baser très fortement sur les algorithmes de l’intelligence artificielle et le système de recommandation automatisée pour donner des propositions adaptées au « Persona ».

Ces propositions pourraient se faire alors en fonction de la composition de son panier, de sa position de géolocalisation (type de quartier ou de zone d’habitat), de son historique de commande, de son budget moyen et du moment de la semaine ou de l’année, en plus d’autres critères liés au ciblage des marques elles-mêmes.

En plus de ce premier élément déterminant, vient la nécessité de l’expérience virtuelle de magasinage qui doit tirer profit de la réalité virtuelle (VR), afin de garantir une véritable « balade virtuelle » au consommateur, marquée par la présence de messages promotionnels, des rappels de produits, des assortiments linéaires organisés par types de produits complémentaires, et des propositions de parcours de magasinage complets.

Si l’on se contente des sites web marchands, qui ne font que défiler les listes de produits référencés par rubriques statiques, nous aurons alors besoin de centaines de pages avec d’innombrables produits référencés, ce qui risque de détruire la valeur de magasinage et occasionner la perte de clientèle dès les premières phases de consultation de produits, et s’exposer ainsi au risque de fugacité connu par les marketeurs.

De ce fait, le ciblage de la clientèle devrait se faire avec le plus grand soin, sans oublier qu’il convient de co-construire avec le client des expériences complètes pour proposer des parcours adaptés aux Marocains, tout en tirant profit des potentialités des dernières générations du web.

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