LA PRESSE ALGÉRIENNE ET L’ANNIVERSAIRE DU PRINTEMPS BERBÈRE

En Algérie, la presse se fait l’écho de la célébration de l’anniversaire du Printemps berbère, 20 avril 1980, estimant que la mobilisation tout au long de ces 38 ans de combat sans relâche et surtout pacifique a fini par aboutir de fort belle manière, même si le pouvoir politique a cru, en lâchant du lest sous la pression de la rue, avoir soustrait la question aux milieux de la militance amazighe.

«El Watan» observe, à ce propos, que tamazight, langue nationale depuis les tragiques événements du printemps 2001 est devenue «langue officielle» dans la Constitution révisée de février 2016, alors que Yennayer a été décrété jour férié, puis fête nationale suite à des manifestations des lycéens entre deux grèves des syndicats des enseignants en décembre dernier.

Presque toutes affaires cessantes en plein marasme économique, le gouvernement est instruit de mettre en place sans délai les outils juridiques de l’Académie de la langue amazighe, souligne-t-il, notant que les praticiens et les chercheurs dans le domaine amazigh sont quasiment pris de court face à cet emballement officiel devant une cause brutalement tirée de l’oubli et de l’exclusion.

Dans son éditorial intitulé «L’appel de la démocratie», le quotidien retient que la capacité de louvoiement du pouvoir étant réduite à sa plus simple expression, sinon nulle dans ce dossier, le challenge implique désormais les spécialistes de la langue amazighe pour porter leurs programmes et leur argumentaire à la connaissance de l’opinion publique, dont l’avis ne peut être évacué par les décideurs.

Il estime, en effet, que la consécration dans les faits du statut officiel de tamazight dépendra du travail d’aménagement de cette langue et à partir duquel débutera une réelle introduction dans le système éducatif, puis dans le monde de la recherche et des sciences.

L’éditorialiste relève que dans cette conjoncture politique et sociale périlleuse que vit le pays, les enseignements pouvant être tirés de la dynamique de reconnaissance du fait amazigh et ses implications sont immédiats et prêts à l’emploi. La véritable stabilité tant recherchée, plutôt vainement, par le pouvoir en place existe naturellement dans la société, perpétuant les valeurs traditionnelles de paix et de solidarité, retient-il.

Notant que la réconciliation historique attendue par les Algériens n’est pas celle codifiée dans les textes de loi dans le but aléatoire d’éviter d’autres tragédies, le journal souligne que la réhabilitation de la culture amazighe, porteuse de rationalité et d’ouverture aux autres, constituera l’antidote naturel contre tous les extrémismes.

Un point de vue qua partagent parfaitement les quotidiens arabophones «Al Hayat» et «El Fadjr» qui font constater que la célébration de l’anniversaire du Printemps berbère, 20 avril 1980, prend ces deux dernières années un coup d’aiguillon qui, en Kabylie, stimule la mobilisation autour de la cause amazighe. La date mobilise toujours, alors que le pouvoir politique a cru, en lâchant du lest sous la pression de la rue, avoir soustrait la question aux milieux de la militance amazighe, soutiennent-ils.

Ils estiment, à ce propos, que les derniers acquis arrachés, dont la constitutionnalisation de tamazight comme langue officielle et l’institutionnalisation de Yennayer fête nationale, n’ont finalement pas produit l’effet escompté par les autorités publiques.

D’ailleurs, l’anniversaire du Printemps berbère de cette année, le 38e, intervient à la fois dans cet esprit de continuité du combat et sur un terrain où le pouvoir ne s’avoue pas vaincu, puisqu’il tente, comme pour Yennayer, de grignoter dans la grande symbolique du 20 Avril et de s’approprier cette date en se plaçant dans l’événement.

Les quotidiens expliquent qu’en Kabylie, les autorités mettent, sans tact, en exécution les instructions du pouvoir central pour marquer de la façon la plus solennelle cette date-symbole. Dans la continuité des cérémonies officielles de l’année dernière, l’implication de l’Etat sonne le folklore par l’intitulé même des programmes qui donnent un cachet de fête à l’événement, se targuent-ils.

Même son de cloche pour «Liberté» qui soutient que le 20 Avril 1980 est une date qui a marqué un moment de rupture historique dans l’Algérie indépendante, car c’est incontestablement au Printemps berbère que l’on doit l’enclenchement d’un processus sociopolitique qui finira par devenir irréversible même si le pouvoir de l’époque et ceux qui vont lui succéder s’emploieront, pendant longtemps, à le réprimer, à l’occulter, à le dévoyer et à le diaboliser aux yeux de l’opinion.

Autant de tentatives qui, toutes, vont s’avérer inopérantes car jamais les cadres et militants du mouvement né du Printemps berbère n’ont succombé au chant des sirènes, à la tentation de la surenchère ou de la violence auxquelles il était sciemment et assidûment poussé, rappelle-t-il.

Dans son éditorial intitulé «Et l’espoir fut !», la publication relève qu’à l’éclosion de ce printemps-là, faisait écho, non pas la création de « groupes armés » ou de «cellules de subversion», mais d’autres éclosions : une multitude d’associations culturelles, des dizaines de groupes de musique, autant de troupes de théâtre, les uns et les autres rivalisant d’œuvres poétiques ou dramaturgiques qui, tout en portant les revendications et idéaux du mouvement, n’ont pas manqué d’enrichir la langue et la culture amazighes elles-mêmes.

La conviction aura eu raison de la répression et, chemin faisant, elle a permis à la citoyenneté de prendre tout son sens, pas encore toute sa place, dans un pays qui s’était déjà doté des instruments politiques et de l’arsenal juridique appropriés pour une négation totale et définitive des libertés et des droits, observe l’éditorialiste. Il fait aussi constater que Avril 80, ce fut aussi cela : la chute des murs du silence et de la peur, mais aussi le recouvrement de la parole libre, la renaissance de cet espoir longtemps étouffé, porté par tout un peuple, tout au long de la guerre de Libération, puis trahi à l’indépendance, avant d’être «légalement» interdit de cité.

Et d’ajouter que trente-huit ans après et au prix de luttes pénibles et coûteuses, Yennayer est consacré fête nationale et tamazight est langue officielle, mais cela ne veut aucunement signifier que le Printemps est derrière nous, arguant que le croire, c’est oublier qu’Avril 80 fut aussi l’amorce du combat des Algériens d’après-guerre pour un État démocratique tel que préconisé dans la plateforme de la Soummam.

Pour leur part, «Al Khabar» et «L’Expression» rappellent qu’il y a trente-huit ans, le 10 mars 1980, une conférence de Mouloud Mammeri sur les poèmes kabyles anciens a été interdite par les pouvoirs publics, ce qui a donné lieu à une succession de manifestations populaires et de grèves ayant pour but d’exiger une reconnaissance officielle de l’amazighité, langue, culture et identité.

Les quotidiens observent qu’aujourd’hui, tamazight est langue nationale et officielle et Yennayer, jour de l’An berbère, est une journée de fête nationale chômée et payée. La mobilisation tout au long de ces 38 ans de combat sans relâche et surtout pacifique a fini par aboutir de fort belle manière, se sont-ils enorgueillis.

Ils estiment de même qu’aujourd’hui le défi passe désormais à un autre stade, celui du travail scientifique, de la recherche universitaire, de la production littéraire et cinématographique et de tout ce qui peut hisser la langue amazighe au niveau de toutes les autres langues.

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