LE VISAGE CACHÉ DE LA MARINE MARCHANDE MAROCAINE:

Par Akram Louiz : Lieutenant mécanicien de la première classe de la marine marchande.

Le Maroc a réalisé un exploit dans la méditerranée grâce au nouveau port Tanger Med et il est sur le point de refaire le même exploit grâce au futur port Nador West Med. Cela a donné à notre pays un coup de pouce géostratégique dans le bassin méditerranéen et a même dérangé nos voisins.
Nous ne pouvons que remercier nos responsables de la marine marchande pour une telle stratégie portuaire si visionnaire. L’économie marocaine en tire profit et le peuple en bénéficie grâce à des milliers de nouveaux emplois générés.

Cependant, puisque la critique constructive est un levier du progrès, discutons un peu le visage caché de la marine marchande marocaine. Discutons l’esclavage moderne qui se produit au large du Maroc.

Les entreprises qui sillonnent les larges marocains par leurs navires contraignent parfois le marin marocain à trimer continument pendant douze heures sachant que ce dernier est parmi les marins les moins payés au monde. Cela a lieu dans la juridiction marocaine et dans l’absence d’une convention collective des marins qui fixe les heures supplémentaires de travail et les minimums de salaires. Cette absence de la convention collective n’est pas due à l’ignorance du marin marocain mais plutôt à la faiblesse des syndicats marocains qui souffrent toujours des harcèlements et de la pression des puissants entrepreneurs armateurs du domaine de la marine marchande.

Cette convention collective qui devra légalement lier tous les marins marocains au ministère de la marine marchande doit être régulièrement mise à jour pour permettre de jouir de beaucoup de droits et d’avantages censés logiquement dépasser les droits que procure le syndicat mondial ITF aux marins à bord des navires de pavillons de complaisance.

Il est d’abord très important de mettre en relief le rôle du marin marocain dans le sauvetage de l’économie marocaine durant cette période du confinement. Le marin marocain a fait face à l’épidémie et aux risques de la mer pour permettre à la roue économique marocaine de rouler. Cependant, jetons un coup d’œil sur le code de travail marocain censé protéger ces nobles êtres serviables et courageux. L’article 3 de ce code exclut les marins de ses dispositions, non pas par injustice mais plutôt parce qu’il y a un code de travail maritime marocain qui doit consacrer aux marins marocains des garanties plus avantageuses que celles prévues par le code du travail général.
Malheureusement, ce code de travail maritime n’a pas été mis à jour depuis le vingtième siècle et par conséquent, le code de travail général est devenu curieusement plus avantageux pour les marins, ce qui contredit les desseins de l’article 3 de ce code. Des officiers de la marine marchande marocaine affirment néanmoins qu’ils avaient discuté et proposé une mise à jour du code de travail maritime marocain depuis 1985, mais il s’avère que leurs projets se font retirer du circuit sous la pression des entrepreneurs armateurs à cause de la faiblesse flagrante des syndicats du domaine.

La réglementation mondiale organisant le travail maritime a quant à elle défendu les marins du monde à travers la convention de travail maritime de 2006 que le Maroc a ratifié le 10 Septembre 2012. Cela a contraint le Maroc à faire entrer en vigueur cette convention après 12 mois de sa ratification et cela conformément au paragraphe 4 de l’article VII de ladite convention. Cependant, les responsables de la marine marchande marocaine n’ont fourni aucun effort dans le renforcement et la médiatisation de l’instance nationale capable de contrôler le respect de cette convention par les navires jouissant de nos ports. Par conséquent, nos milliers de marins marocains se retrouvent incapables de bénéficier des procédures de plaintes à bord des navires telles que dictées par la règle 5.1.5 de ladite convention. Les règles 5.2 et 5.3 de la convention de travail maritime de 2006 donnent légalement assez de responsabilités et de prérogatives à cette instance nationale pour pouvoir conserver les droits de travail des marins et résoudre tous leurs problèmes à bord des navires avant un éventuel recours aux tribunaux.

En parlant de tribunaux, rappelons la tragédie sociale de l’affaire Comanav-Comarit qui a touché plus de 1200 marins, sans compter les familles. L’affaire n’a pas été résolu malgré les verdicts en faveur des victimes puisque le gouvernement reste incapable d’exécuter ces jugements. L’affaire est qualifiée de tabou malgré la souffrance continue des marins victimes. Ces derniers ne peuvent rien face à la nonchalance des responsables de la marine marchande.

Les marins marocains souffrent aussi d’un problème très courant, c’est que parfois leurs contrats de travail ne les lient pas directement aux armateurs mais plutôt à d’autres entités, et cela les empêche de tirer profit des obligations de la convention du travail maritime de 2006. En tenant compte des définitions de l’article II de ladite convention, conformément à la norme A2.1 et au paragraphe 10 de la norme A1.4 à propos du recrutement et placement, la réglementation mondiale impose que les contrats d’engagement maritime des gens de mer doivent impérativement lier les marins aux vrais armateurs qui exploitent légalement leurs navires, et cette liaison est soit directe soit à travers un représentant légal de l’armateur et non pas à travers une autre entreprise ou filiale en liaison avec les vrais armateurs.

Les marins marocains souhaitent au moins la mise en place de toutes les facilités des ports prescrites par la convention de travail maritime de 2006 et qui doivent impérativement rendre service aux marins dans tous les ports nationaux et permettre leur bien-être.

Jusqu’à quand le marin marocain restera l’esclave de sa société ? Lui qui surmonte les vagues et fait face à tous les périls du métier pour le bien de sa patrie. Qu’est ce qui garantit à nos nonchalants responsables de la marine marchande qu’il n’y aura aucun soulèvement social par les gens de mer ? Un éventuel soulèvement entrainera avec lui d’autres secteurs et nuira sûrement à cette nouvelle image du Maroc que nous dessinons dans le bassin méditerranéen. A bon entendeur salut !!!

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