Trump président: Comment interpréter les résultats de l’élection présidentielle états-unienne et la diversification de l’électorat républicain ? 

HIBAPRESS-RABAT-IRIS

Quatre ans après sa défaite contre Joe Biden, Donald Trump sera bientôt de retour à la Maison-Blanche. Si la victoire du républicain face à sa rivale, Kamala Harris, était perçue comme possible, l’ampleur de celle-ci a surpris les observateurs et interroge sur la transformation de l’électorat des États-Unis. Sa réélection entraîne également des incertitudes quant au futur de la politique intérieure et étrangère du pays. Comment expliquer la victoire de Donald Trump ? Quel impact peut-elle avoir sur les différents foyers de conflits et sur la politique étrangère états-unienne ? Quelles ont été les conséquences des élections générales sur les droits des femmes aux États-Unis ? L’analyse de Marie-Cécile Naves, directrice de recherche à l’IRIS et directrice de l’Observatoire du Genre et Géopolitique de l’IRIS

Il faudra du temps pour analyser et bien comprendre ce scrutin car la sociologie électorale sera longue à établir, d’autant qu’elle diffère selon les États fédérés. On peut dire tout de même que Donald Trump n’élargit pas son électorat, mais qu’il le diversifie en gagnant des électeurs (voire des électrices) latinos et qu’il séduit les jeunes hommes, en particulier non diplômés de l’enseignement supérieur. Kamala Harris obtient, elle, une majorité d’électrices, et de personnes diplômées, mais fait plusieurs millions de voix de moins que Joe Biden en 2020. Si plusieurs variables explicatives émergent d’ores et déjà, on ne peut pas les réduire à un seul paramètre (l’économie, l’inflation, l’immigration, etc.). Ces éléments ont joué, bien sûr, mais ne suffisent pas à expliquer ce résultat. La situation est d’autant plus complexe que l’enjeu n’est pas seulement national. Partout dans le monde, les « hommes forts », au penchant pour la brutalité politique et verbale, la nostalgie d’un passé fantasmé, la promesse d’un capitalisme débridé et le besoin de revanche gagnent les élections ou aspirent le pouvoir.

La campagne de terrain de Kamala Harris a été impressionnante, a limité les dégâts dans les États-clés, mais n’a pas réussi l’agrégation de l’ensemble des forces progressistes que Joe Biden avait construite en 2020. L’écologie a été absente. L’engagement dans des guerres lointaines est un logiciel dépassé, impopulaire. Le soutien inconditionnel à Israël et les massacres à Gaza ont fait perdre des voix dans le Michigan, sans doute. Aux États-Unis comme ailleurs, les responsables politiques en place pendant la Covid-19 ont aussi payé cher le prix de cette pandémie, ce traumatisme planétaire aux effets psychologiques probablement sous-estimés. Joe Biden et Kamala Harris, malgré les plans de relance et la baisse du chômage, n’ont pas pu se défaire d’une impopularité persistante.

Mais il ne s’agit pas seulement de cela. La peur du déclin du pays, la difficulté à se projeter, les dangers réels ou imaginaires : tout était orthogonal à l’histoire racontée par Kamala Harris, celle d’un optimisme abstrait. Sans doute aussi est-ce inenvisageable, pour une partie de l’Amérique, d’élire une femme. Un autre élément est qu’en 2020, Trump était le sortant, tandis qu’en 2024, il était l’outsider. Il a été perçu comme hors du système alors qu’il baigne dedans.  « Make America Great Again » prospère sur le terrain de l’apocalypse et son projet oscille, non sans contradictions, entre libertés sans limites (de parole, d’entreprise) et autoritarisme (sur la circulation des personnes, l’accès à la santé, le droit à disposer de son corps, etc.). La violence verbale et le fait de jouer des coudes deviennent un signe de respectabilité. L’insulte et la méchanceté sont la norme. Le lien social, la responsabilité, l’attention à l’autre sont des marques de faiblesse, des signes d’inefficacité, dans une société perçue comme de plus en plus menaçante, et dans un monde lui-même vu comme hostile vis-à-vis des États-Unis. La frontière entre le réel et le divertissement s’efface. Le modèle économique du buzz et du clash des réseaux sociaux, et une couverture médiatique fascinée par Trump, fournissent une chambre d’écho redoutable aux campagnes massives de désinformation (que les démocrates ont sous-estimées ou n’ont pas su appréhender).

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